04 Mars 2025 à 16h00, heure locale, Antananarivo enregistrait, selon les données d’AirNow, une concentration moyenne de 11,8 microgrammes par mètre cube (µg/m³) de particules fines PM2,5. Ce qui donne un indice de qualité de l’air (AQI) de 56, classé modéré. Ce niveau serait acceptable pour la population générale, mais à surveiller pour ceux qui font partie de groupes sensibles.
C’étaient les dernières données fournies par la station de surveillance du côté du bureau de l’Ambassade des États-Unis à Madagascar, dans le quartier d’Andranomena. A partir de cette date, AirNow, le site web du Département d’État américain qui présentait les données sur la qualité de l’air n’était alors plus accessible au public des différents pays concernés.
Manque de transparence
Le mercredi 7 mai 2025, le Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (CREA) a communiqué les conclusions de ses analyses suite à l’arrêt à durée indéterminée de ce programme AirNow des États-Unis. Officiellement, depuis le 4 mars, « six pays ont perdu tout accès à la surveillance de la qualité de l’air, 28 pays ont perdu l’accès à des appareils de surveillance de la qualité de l’air de qualité réglementaire, et les 16 pays restants doivent impérativement réexaminer leur accès à des instruments de qualité réglementaire » interpelle le CREA. D’après cet organisme de recherche « indépendant », Madagascar fait partie des neuf pays africains touchés par cette décision des États-Unis.
Outre la surveillance offerte par les appareils installés au sein des ambassades américaines, la Grande île est également de ceux qui disposent d’une surveillance gouvernementale. Cependant, tout comme au Ghana et au Nigéria, les données sur la qualité de l’air dans le pays « ne sont pas totalement transparentes » note le CREA. De tous les pays africains concernés par cette suspension sine die de l’accès aux données AirNow, « seuls l’Ouganda et le Kenya disposent d’un suivi gouvernemental accessible au public et totalement transparent ». Alors que, pour des pays à faible revenu comme Madagascar, avoir des données de qualité est essentiel « pour justifier le soutien international aux efforts de purification de l’air et d’utilisation d’énergies propres, et pour démontrer leur efficacité ».
Une catastrophe sanitaire et économique
« La décision du département d’État américain de fermer son réseau mondial de surveillance de la qualité de l’air en dehors des États-Unis est un revers majeur » alerte Gabriel Okello, associé de recherche principal au Cambridge institute for sustainability leadership (CISL). D’après une étude réalisée en 2022 par des chercheurs de l’université de Carnegie Mellon et de l’université du Queensland sur les effets du programme AirNow dans plus de 40 postes diplomatiques américains, il a été démontré qu’AirNow a permis de « réduire les niveaux de concentration de particules fines PM2,5 de 2 à 4 microgrammes par mètre cube dans les pays hôtes, ce qui représente une diminution significative ».
Le programme a également permis « d’économiser 465 millions de dollars et d’éviter 895 décès prématurés dans une ville moyenne parmi les ambassades américaines analysées » soutient le CREA. Gabriel Okello n’a d’ailleurs pas manqué de souligner l’impact de cette fermeture sur la population mondiale. Il évoque notamment un affaiblissement de la recherche mondiale, une mise en danger de la santé du personnel de l’ambassade et du public, et un ralentissement des « efforts de lutte contre la pollution atmosphérique ». Cela « nuit, selon lui, à la santé des personnes et provoque chaque année plus de 7 millions de décès prématurés dans le monde, dont plus d’un million en Afrique ».
Une décision erronée ?
Les analyses menées par les chercheurs ont conclu que la continuité du programme AirNow aurait pu être plus bénéfique financièrement aux États-Unis que cette suspension. Andrea La Nauze, professeure agrégée d’économie à la Deakin Business School, en Australie, et l’un des principaux chercheurs de l’étude d’impact d’AirNow, a ainsi déclaré que les capteurs étaient en fait « rentabilisés ». En effet, selon ses dires, les calculs effectués par l’équipe de recherche ont montré que « les capteurs ont permis à l’ambassade médiane d’économiser 33 971 USD par an en indemnités de sujétion, alors que le coût annuel des capteurs s’élève à 9 712 USD ».
« A l’instar des effets sur la réduction des PM2,5, la réduction des indemnités de sujétion pour les diplomates a également augmenté avec le temps » explique-t-elle. Ici, l’on entend par indemnité de sujétion, une prime que le département d’État américain accorde à ses diplomates affectés dans des pays où les conditions de vie sont pires qu’aux États-Unis. « L’une de ces conditions est la qualité de l’air » note Andrea La Nauze. L’équipe de chercheurs auraient d’ailleurs constaté une diminution de ces primes dans les villes équipées d’un capteur d’ambassade, en comparaison avec celles qui n’en étaient pas équipées.
Urgence
Pour l’heure, aucun acteur ne peut se prononcer quant à une prochaine réouverture d’AirNow au public des autres pays. Et ce, en dépit du fait que des chercheurs aient démontré qu’il aurait été plus bénéfique financièrement pour les États-Unis de garder ces données publiques. Toutefois, compte tenu des pertes engendrées par la pollution de l’air, tant en vies humaines, qu’en capital naturel et financier, toutes les parties prenantes devraient s’accorder sur l’urgence de rétablir l’accès aux données.
Le CREA appelle aujourd’hui à une « intensification de la surveillance gouvernementale » car cela « pourrait permettre d’économiser des centaines de millions de dollars par ville ». Les pays dotés de surveillance existante tels que Madagascar, « devraient privilégier la transparence en veillant à ce que les données de surveillance de la qualité de l’air, en temps réel comme historiques, soient accessibles au public » urge le centre. Lauri Myllyvirta, analyste en chef, attire d’ailleurs l’attention sur l’importance de la disponibilité de « données ouvertes et de haute qualité sur la qualité de l’air ».
Il s’agit selon ses propos, de « la pierre angulaire de la lutte mondiale contre la pollution atmosphérique ». « Avec la perte d’accès aux données AirNow et l’absence d’une date de retour à la normale clairement définie, il est urgent de commencer à mesurer la qualité de l’air afin de maintenir la disponibilité des données et de préserver les nombreux avantages du programme de surveillance des ambassades » soutient-il.
Une position à laquelle se joint Desmond Appiah, responsable du Fonds pour l’air pur (Clean Air Fund) au Ghana. « Il est essentiel de prendre des mesures pour lutter contre la pollution de l’air afin d’assurer un avenir plus sûr, plus sain et plus prospère » a-t-il déclaré. Il rappelle qu’on ne peut pas combattre ce qu’on ne peut pas mesurer. « Une meilleure connaissance des niveaux de qualité de l’air conduit à des réponses politiques qui portent leurs fruits sous la forme de vies sauvées et de communautés plus saines et plus productives » a-t-il insisté.