5 à 20 millions de dollars par an. C’est le montant des flux financiers illégaux générés par le commerce illégal de la faune à Madagascar, selon des études réalisées par l’organisation environnementale Traffic qui est la principale structure non gouvernementale travaillant au niveau mondial sur le commerce d’espèces sauvages dans le contexte à la fois de la conservation de la biodiversité et du développement durable. Dans la Grande île, elle a mené un projet au sein d’un consortium financé par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) dans le cadre du projet américain de lutte contre la corruption et le trafic d’espèces sauvages (CCWT).
Bénéfices
Cette estimation est peut-être loin des comptes, à en croire les différents trafics qui passent sous les radars officiels. Au niveau mondial, les produits du CIES sont estimés entre 7 et 23 milliards de dollars par an, selon une étude de Wyler et Sheik, qui est parue en 2008, déjà. Ce qui équivaut à près d’un quart du montant généré par le commerce légal des espèces sauvages. En comparaison, les aides publiques françaises au développement ont été estimées à 16 milliards de dollars en 2022.
« Bien qu’il soit très difficile de déterminer la fourchette exacte, cette étude corrobore la conclusion selon laquelle le CIES est un crime transnational majeur qui génère chaque année des milliards de dollars de bénéfices », note le Groupe d’action financière (GAFI) dans un rapport sur le blanchiment d’argent et le commerce illégal d’espèces sauvages. Le GAFI est un organisme intergouvernemental indépendant dont la mission consiste à élaborer et promouvoir des stratégies de protection du système financier mondial face au blanchiment de capitaux, au financement du terrorisme et au financement de la prolifération d’armes de destruction massive. Comme pour d’autres formes de commerce illégal, les prix augmentent souvent de manière significative entre les pays d’origine et de destination.
Restrictions et suspensions
Avec ses faunes uniques, Madagascar se trouve au cœur des trafics. « Le premier défi serait de stopper les trafics ». C’est en forme d’une évidence que Rojosoa Rakotonanahary, le doyen des juges du Pôle Anti-Corruption (PAC) avait dressé le premier challenge de la lutte contre commerce illégal d’espèces sauvages et de la corruption qui l’entoure, lors du deuxième Forum National de lutte contre le trafic d’espèces sauvages qui s’est tenu à Antananarivo, les 13 et 14 août 2024.
Aussi bien sur papier qu’en pratique, cette lutte est difficile tant de nombreux facteurs entrent en compte. Malgré la longue période de restrictions et suspensions du commerce de nombreuses espèces remontant à 1994, les reptiles et les amphibiens malgaches sont encore commercialisés sur les marchés mondiaux des animaux de compagnie exotiques, à l’image des tortues radiées et des lémuriens.
L’une des difficultés de la lutte résiderait dans le manque de compétences et de savoir-faire des agents et des administrations en charge de cette lutte. « C’est un constat : les administrations spécialisées n’ont pas le savoir-faire. Les agents du MEDD et des douanes, qui ont la qualité de police judiciaire, sont davantage habitués aux enquêtes de flagrance. Or dans la plupart des situations, les enquêtes méritent d’être menées au fond. In fine, le PAC incite à ce que la police nationale ou la gendarmerie mène des enquêtes pour plus de célérité », déplore le doyen des juges du Pôle Anti-Corruption. « Les forces de l’ordre ont une expérience particulière », avait soutenu le commissaire Ainarivonjy Olivier Andriamasy, directeur de la discipline et de la lutte contre la corruption au sein du Ministère de la Sécurité publique (MSP), pour abonder dans le sens du magistrat.
Tolérance zéro
Le Code de Gestion des Aires Protégées prévoit divers instruments répressifs comme les peines contre les auteurs d’infractions sur toute l’étendue de toute aire protégé, le « prélèvement ou toute altération d’animaux, de végétaux, de monuments ou de tout autre objet sans autorisation Ministère chargé des Aires Protégées après conforme avis du gestionnaire » ou le « vol et recel de vol d’animaux, de végétaux, autres produits ou objets du site » ((article 55). Des peines allant d’une amende comprise entre 100 millions et 2 milliards d’ariary aux travaux forcés sont prévues.
« Nous n’avons jamais entendu que ces dispositions aient été prises sur quelqu’un. Il est plutôt d’usage que quand quelqu’un est pris en flagrant délit, il fait appel aux “interventions”. La personne fait appel aux dépositaires de l’administration, ou manigance auprès de la justice. C’est là que la corruption intervient », regrette Gérard Rambeloarisoa, Chief of party du Projet Mizana.
A Madagascar, condamner un trafiquant d’espèces sauvages reste d’exception plutôt que la règle. « Il est difficile de recueillir des preuves le long de la chaîne de contrôle, de constituer un dossier solide permettant d’engager des poursuites et de sensibiliser les juges à la gravité de la criminalité liée aux espèces sauvages », soulignaient les chercheurs Krishnasamy et Zavagli, même si la politique dite de la « tolérance zéro » est mise en œuvre. « Nous adoptons une politique de tolérance zéro. S’il y a une infraction, il y a traduction dans la justice », glisse le directeur général de la gouvernance au sein du MEDD. Sur ce sujet, durant le deuxième Forum National de lutte contre le trafic d’espèces sauvages, Anthony Ramarolahihaingonirainy, directeur général de l’Ecole nationale de la magistrature et des greffes (ENMG), avait jeté un pavé dans la mare.
« Tout ce que nous faisons n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. La fin (du processus) se trouve au niveau de la justice. Quand il y a un dossier qui arrive jusqu’à la Cour suprême, la Cour de cassation décide de mettre fin à l’affaire à travers la cassation sans renvoi, comme si l’infraction n’existait pas. Les policiers, la gendarmerie, les agents forestiers, le PAC… auront bon travailler, cela débouche sur cette cassation sans renvoi. Pour les justiciables devant la haute cour de justice, nous savons qu’il n’y a aucune mise en accusation au sein du parlement. Ce qui fait que quoi que nous fassions, il n’y aura aucun résultat. Les magistrats peuvent être téléguidés à Madagascar », a lâché amèrement le DG de l’ENMG. Comme un aveu d’impuissance.