Le Festival des Baleines met la lumière sur une île à la fois connue et assez méconnue des Malgaches eux-mêmes. Quel est l’état de santé des faunes et des flores saint-mariennes actuellement ?
Mahandrizo Rakotovao (M.R.) : L’état de santé des écosystèmes terrestres et marins de Sainte-Marie soulève aujourd’hui de vives préoccupations. Sur le plan terrestre, l’île a perdu environ 25 % de sa couverture forestière au cours des 30 dernières années, principalement en raison du tavy (culture sur brûlis). Cette déforestation a conduit à une fragmentation importante des trois principaux blocs forestiers, compromettant ainsi la connectivité écologique, ou la liberté des espèces à se déplacer entre différents milieux naturels pour vivre, se nourrir et se reproduire, ce qui nuit à leur survie. Du côté marin, la situation est tout aussi préoccupante. Les principales espèces halieutiques à intérêt commercial sont en déclin, en grande partie à cause de la surpêche et de l’utilisation de techniques de pêche non durables.
Les récifs coralliens, essentiels à la biodiversité marine, sont fortement dégradés. Ils sont affectés, à la fois, par les effets du changement climatique (blanchissement, acidification) et par les pratiques humaines destructrices. Par ailleurs, la prolifération d’algues envahissantes, notamment sur la côte ouest, est exacerbée par la présence de déchets organiques. À cela s’ajoute une pollution plastique croissante dans les lagons, représentant une menace directe pour les écosystèmes marins et la santé humaine.
En 2018, la population locale s’est prononcée en faveur de la création d’une aire protégée terrestre et marine à Sainte-Marie. Comment avez-vous réussi à trouver ce consensus ?
M.R. : La PCADDISM (Plateforme de Concertation et d’Appui au Développement Durable de l’Ile de Sainte Marie) est une association locale qui fédère la population locale. Cette structure locale assure l’ancrage communautaire du projet, tandis que le Gret apporte un appui technique et réglementaire, en tant que promoteur de la création de l’aire protégée. Un long processus de concertation publique, auquel on estime que 40% de la population locale a participé depuis 2018, a permis d’élaborer un schéma global d’aménagement de la future aire protégée, validé lors d’un atelier national en 2024 par la commission Système des Aires Protégée de Madagascar (SAPM). Cette commission est l’autorité en charge d’évaluer la conformité de la création des nouvelles aires protégées.
Ce SAG définit le zonage de la future aire protégée : 265 000 ha de zones marines et terrestres distribuées en “zones d’utilisation durable”, en “zones d’occupation contrôlées”, en “noyaux durs” autour de cibles de conservation liées aux écosystèmes ou aux espèces à valeur culturelle. Pour chaque zone, des règles spécifiques, définies de manière collective encadrent les activités autorisées ou interdites.
Les populations sont-elles conscientes des dangers et des menaces qui pèsent sur les écosystèmes ?
M.R. : À Sainte-Marie, l’ensemble des parties prenantes et des acteurs locaux manifeste une réelle prise de conscience quant aux dangers qui pèsent sur les écosystèmes. Ils reconnaissent l’importance cruciale de préserver la biodiversité de l’île et s’engagent activement dans la mise en place d’une gouvernance locale efficace des ressources naturelles.
L’économie de l’île repose en grande partie sur les services écosystémiques que procure son environnement naturel — notamment l’alimentation (pêche), le tourisme, la santé etc. Cette dépendance directe renforce l’implication des communautés locales, qui figurent parmi les premiers à alerter sur la dégradation des ressources naturelles et à promouvoir des actions de conservation. Cette dynamique locale témoigne d’une volonté collective de préserver l’environnement, non seulement pour des raisons écologiques, mais aussi pour garantir la durabilité des moyens de subsistance de la population.
Comment cette population est-elle engagée dans cette mission de protection ?
M.R. : La population locale est impliquée dans les actions de conservation. Les activités de restauration sont menées par les groupements villageois, les pépiniéristes locaux assurent la production des jeunes plants; le comité de surveillance assure le signalement des infractions etc.
Quels ont été les impacts des actions de conservation en chiffres ? Les tendances se sont-elles inversées ?
M.R. : On ne peut pas parler d’inversion de la tendance pour le moment, mais on perçoit des évolutions positives de la situation. Les mesures de conservation et de gestion durable des écosystèmes, qui seront renforcées dans la prochaine phase (de création définitive de l’aire protégée) permettront certainement d’avoir une gouvernance partagée de la biodiversité de Sainte-Marie et de contenir les menaces sur cette dernière.
Dans le cadre du projet, trois pépinières opérationnelles ont été mises en place, trois hectares de mangrove ont été restaurés, et 20 000 plants – dont 10 appartenant à des espèces menacées – ont été plantés sur une superficie de 10 hectares. Par ailleurs, 243 ménages ont bénéficié de formations pour développer des activités d’agroécologie, d’élevage ou de cultures de rente telles que la vanille et le girofle, et ont été dotés de matériels agricoles ainsi que d’intrants nécessaires.
Vous avez mis en place des patrouilles communautaires, comment les communautés les accueille, n’y a-t-il pas de friction ? Sont-elles respectées ?
M.R. : Actuellement, l’aire protégée de Sainte Marie n’a pas encore de statut officiel d’aire protégée. Les activités de patrouille communautaire ne sont donc pas encore autorisées. Cependant, un comité de surveillance communautaire a été créé, dont la mission est de signaler les infractions forestières aux autorités compétentes (notamment le chef cantonnement des eaux et forêts de Sainte-Marie).
Quelles sont les grandes leçons apprises de Tsara Kobaby ?
M.R. : Le projet Tsara Kobaby s’est donné pour mission de protéger la biodiversité de l’île de Sainte-Marie par l’implication active de ses habitant.e.s communautés locales. Aujourd’hui, plusieurs leçons importantes se dégagent des premières phases du projet. Ces enseignements orientent désormais les actions en cours et les stratégies à venir.
La mobilisation communautaire est la clé d’une gestion durable des écosystèmes : en plaçant les communautés locales au centre des décisions liées à l’usage et à la préservation des ressources naturelles, le projet a favorisé une approche intégrant us et coutumes et connaissances scientifiques. En impliquant activement les habitant(e)s dans l’élaboration des mesures de gestion des ressources naturelles, il a permis une meilleure compréhension des enjeux environnementaux et une véritable appropriation des règles établies.
Une mobilisation intersectorielle permet d’élaborer des réponses cohérentes : à Sainte-Marie, les enjeux environnementaux touchent aussi la pêche, le tourisme, la santé, l’éducation, ou encore l’aménagement du territoire. Le projet a démontré l’importance d’une concertation élargie entre ces différents secteurs et acteurs, pour éviter les conflits d’usage.