Sur la côte Sud-est de la Grande île, à 10h15 du matin, sur les plages de Manakarabe, les pêcheurs débarquent après un début de journée en mer. Elias et Stéphane, deux jeunes pêcheurs déchargent leurs captures, d’une quantité assez mince.
« Le poisson se fait rare … Aujourd’hui, nous sommes obligés d’aller jusque dans les 10 km au large pour pouvoir en trouver. Auparavant, à seulement 2 km du littoral, on pouvait en pêcher plus d’une trentaine de kilos », souffle Elias. Il est issu d’une longue lignée de pêcheurs dans la ville de Manakara. Cette situation témoigne de l’épuisement des ressources de la mer.
Raréfaction des ressources
Son constat est rejoint par Stéphane qui exerce en tant que pêcheur depuis 2017. « Il y a énormément de changements que je ne maîtrise pas mais qui impactent lourdement sur nos activités. Des fois, nous sommes obligés d’aller jusqu’à Vangaindrano – à plus d’une centaine de kilomètres de Manakara – pour trouver du poisson », se plaint-il. Et pourtant, ces cas des pêcheurs de Manakara ne sont pas isolés.
Plus haut, sur la côte Nord-est, dans l’ex-province de Toamasina, les pêcheurs font face à la même situation. Et, comme le souligne Michaël Manesimana, expert en changement climatique et Président du conseil d’administration de l’Organisation Non Gouvernementale (ONG) Tany Ifandovana qui œuvre dans cette partie de l’île: « La raréfaction des ressources marines est une situation à laquelle font face actuellement toutes les communautés côtières malgaches. »
Algoculture
A Madagascar, le changement climatique exerce une pression croissante sur la biodiversité et les écosystèmes marins. Ce qui affecte énormément le secteur pêche dont dépend près de 1,5 million d’habitants vivant le long du littoral et qui représente environ 7% du Produit intérieur brut (PIB) national et contribue à 6,6% aux exportations de la Grande île. Cependant, « il s’agit d’un processus qui est en marche et qu’on ne peut malheureusement pas arrêter… notre unique alternative est l’adaptation », soutient Michaël Manesimana.

Lors d’une visite à Ambanja, dans le nord de Madagascar, le ministre de la Pêche et de l’Économie bleue, Dr. Mahatante Tsimanaoraty Paubert s’est rendu au chevet d’algoculteurs, au sein de la société Riaka. La culture d’algues constitue une des filières que l’État malgache, à travers ce ministère, appuie fortement. Notamment car il s’agit d’une activité qui, combinée à la pêche, « permet à de nombreuses communautés de pêcheurs de bien vivre. »
« Aujourd’hui, nous produisons aux alentours de 3 000 tonnes d’algues sèches, mais notre objectif est d’atteindre les 30 000 tonnes à l’horizon 2030 », soutient le ministre. En soulignant le fait que cette filière va parfaitement de pair avec la pêche. « Ici, les pêcheurs peuvent parfaitement gagner jusqu’à 2 000 000 ariary en un mois grâce à cette activité » a-t-il déclaré. Tout en appuyant qu’« il s’agit d’un métier à part entière qui permet aux communautés de bien gagner leur vie. » D’après les explications de Michaël Manesimana, « l’algoculture constitue une alternative efficace face au réchauffement des océans. Elles s’adaptent très bien aux eaux chaudes. »
Cette filière pourrait constituer un bon levier de croissance. D’autant plus que le pays ambitionne de « pouvoir transformer ces produits au niveau local », comme le soutient le ministre de la Pêche et de l’Économie bleue. Les algues contiennent du carraghénane qui fait partie des matières premières à partir desquelles on produit les matières gélatineuses utilisées dans l’industrie pharmaceutique ou encore dans l’agroalimentaire. L’algoculture est un levier qui pourrait permettre de faire face au changement majeur.

S’adapter
« Dans le changement climatique, on devrait apprendre à transformer la crise planétaire en opportunité. Dans l’adaptation, il y a plusieurs techniques qu’on pourrait mettre en œuvre », défend le PCA de l’ONG Tany Ifandovana. A titre d’exemple, cet expert en changement climatique a mentionné les opportunités de transformations des produits halieutiques en produits finis. Ce qui leur procurerait plus de valeur ajoutée.
Il suggère également l’identification des différents points de pêche. « Comme les pêcheurs sont aujourd’hui amenés à aller plus loin pour trouver du poisson, l’on pourrait travailler à identifier tous les points de pêche de chaque zone, et ainsi les aider à ne plus tourner en rond pendant des heures avec leurs pagaies. L’on pourrait également recourir à l’utilisation des dispositifs de concentration de poissons (DCP) », suggère-t-il. A travers sa stratégie nationale de l’économie bleue pour la décennie 2023-2033, Madagascar avance plusieurs points relatifs à l’adaptation aux effets du changement climatique.
Actuellement, le ministère malgache de la pêche et de l’économie bleue (MPEB) enchaîne les activités de capacitation des communautés côtières. Équiper les pêcheurs du Menabe en kits de sécurité, distribuer des alevins aux jeunes et mères de famille ayant bénéficié de formation en pisciculture à Toliara, mise en place de système d’alerte précoce dans les différentes zones côtières, soutien à la filière de culture d’algues … Toutes ces activités s’inscrivent dans le cadre de cette stratégie malgache d’adaptation. Néanmoins, de nombreux défis persistent.

Défaut d’application des lois
« Actuellement, la température de la mer à Madagascar est au maximum de 30,2°C (à Mahajanga) et la température minimale est de 24,8°C (à Taolagnaro) » informe le site seatemperature.info. L’on assiste à un réchauffement des mers et océans, ce qui rend vulnérable la biodiversité et les écosystèmes marins. Certes, cette situation est due en partie au changement climatique, mais, comme l’a évoqué Michaël Manesimana, la pression anthropique y est également pour beaucoup. « Nous faisons face à une élévation du niveau des mers et à un réchauffement des océans. Ce qui est à l’origine des phénomènes comme le blanchissement des récifs coralliens, habitats essentiels pour de nombreuses espèces marines. Toutefois, la surexploitation des ressources joue également un grand rôle dans cette crise », glisse-t-il.

Le PCA de Tany Ifandovana n’a d’ailleurs pas hésité à pointer du doigt le fait que Madagascar a du mal à faire respecter ses lois. « A Toamasina et dans de nombreuses villes côtières, les communautés usent encore des coraux dans la construction de fosses septiques ; et les quincailleries en commercialisent au vu et su de tous », dénonce-t-il. Avant de rajouter : « de même en ce qui concerne les palétuviers qui, dans beaucoup de localités, notamment sur la côte Ouest, sont encore utilisés dans la construction ». Un autre exemple de cette défaillance dans l’application des lois est la persistance des pratiques de dragage artisanal que l’on peut même observer en plein Toamasina.
D’un autre côté, il y a aussi la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) qui fait perdre annuellement à l’État malgache entre 12 et 16 millions de dollars. Et toutes ces pratiques sont exacerbées par la corruption, avec, selon le Fonds mondial pour la nature ou WWF Madagascar dans son rapport annuel 2024, « des réseaux de criminalité s’étendant en Asie, en Europe et aux États-Unis ».
Tous ces faits démontrent que la conservation marine ainsi que le développement de l’économie bleue à Madagascar sont encore loin de l’exemplarité et se heurtent à de nombreux défis tant sur le plan technique, institutionnel que financier. D’après Nanie Ratsifandrihamanana, directrice de WWF Madagascar, « au rythme où les écosystèmes terrestres et marins de Madagascar se dégradent, l’enjeu reste de taille pour la conservation ».
Et à Michaël Manesimana de noter que la conservation et la restauration sont des activités qui « exigent de l’expertise, de l’expérience et beaucoup de logistiques ». Tant les communautés que les autorités locales, régionales et nationales devraient ainsi être mieux équipées pour pouvoir mener à bien cette entreprise de développement de l’économie bleue dans le pays.